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Sûreté nucléaire et organisation du travail : de gros problèmes structurels
La sûreté de nos installations est l'argument majeur ayant permis le développement de notre industrie électro-nucléaire. Or la sûreté d'une installation dépend directement de la maintenance de cette installation. Pour pouvoir continuer à afficher cette assurance sur la sûreté, tout en sous-traitant la quasi totalité de la maintenance à des personnes extérieures (et qui plus est le plus souvent en situation sociale précaire), EDF a du faire pas mal de gymnastique. C'est ainsi que c'est développé toute une démarche d'établissement de règles, normes et procédures (normes ISO 9000) concernant la conception, la réalisation des opérations de maintenance, le contrôle des réalisations, le comportement des travailleurs, etc... Les entreprises sous-traitantes s'engagent à respecter ces normes, et la preuve de ce respect passe par des documents écrits remis après chaque intervention. C'est ce que l'industrie appelle ``l'assurance qualité''. Dès lors, une intervention est dite de qualité si elle repecte ces normes, ou plutôt, si les documents administratifs (les traces) attestant le respect des normes sont bien remplis. L'un des problèmes, c'est que nos brillants ingénieurs n'ont pas pensé à toutes les situations possibles et imaginables, bien qu'ils soient parfaitement convaincus du contraire. C'est ainsi que le travailleur se retrouve constamment dans une situation non prévue, et qu'il doit improviser pour y faire face, faisant ainsi appel à toute son expérience professionnelle. Ce faisant il se met en faute puisqu'il ne respecte pas les normes ! Le respect des règles et procédures tend donc à devenir l'objectif principal, et ce indépendamment des contradictions qui apparaissent dans la réalité du travail. On aboutit ainsi à des situations ubuesques, pitoyables ou tragiques suivant les cas et le regard que l'on porte. Une constante étant la suspicion générale envers les travailleurs ``extérieurs'', sur qui on fera retomber la faute en cas d'incident. Un autre problème est le manque de concertation directe entre les agents EDF et les prestataires. Tout passe par des documents écrits préformatés, rendant ainsi invisible toute trace du travail réel. La grande mobilité des prestataires, associée à leur dispersion soigneusement organisée, rend impossible la connaissance de l'état réel d'une installation et ne permet pas de conserver la mémoire vivante de cette installation. L'évaluation d'une situation est donc la plupart du temps purement formelle et fondée sur des traces écrites. Et bien sûr, il y a encore et toujours le credo de la recherche de la compétitivité qui conduit à réduire à tout prix les coûts de production et de maintenance, réduisant ainsi la durée des travaux et la maintenance préventive, tout en augmentant la charge de travail des prestataires, contribuant ainsi à altérer significativement les marges de sûreté. En conclusion, nous citerons Mme Thébaud-Mony (*) : ``L'organisation du travail de maintenance et les rapports sociaux qui la sous-tendent contribuent à une augmentation des risques d'accident (et non plus seulement d'incidents). Mais cette organisation rend aussi possible l'effacement des traces des contradictions majeures auxquelles est confrontée l'industrie nucléaire. Or l'histoire industrielle et certaines catastrophes survenues au cours de cette histoire sont là pour nous rappeler que les contradictions finissent toujours par éclater au grand jour et obliger les sociétés à les affronter pour les surmonter. Faudra-t-il aller jusqu'à l'accident nucléaire pour qu'en France le lobby nucléaire, l'Etat et la société assument pleinement ces contradictions ?'' (*) L'industrie nucléaire, sous-traitance et servitude, Annie Thébaud-Mony, éditions EDK/INSERM, 2000, page 249. 26 mars 2001, Stop Civaux
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