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Comment gérer un accident nucléaire ?

Lecture d'un document officiel



Avertissement : Hormis les notes de bas de page, et sauf référencement explicite, toutes les portions du texte ci-dessous qui sont entre balises d'emphase (d'où un changement de fonte dépendant du butineur utilisé) sont des citations extraites du magazine Contrôle de janvier 2000, publication "grand public" de l'Autorité de Sûreté Nucléaire.


Tous les médias et communiquants le martèlent, comme pour s'excuser/s'expliquer à l'avance de la catastrophe prévue et annoncée : "le risque zéro n'existe pas", y compris dans le nucléaire.

Les autorités l'ont bien compris, et depuis longtemps [2]. A cet égard, le magazine Contrôle [3] de janvier 2000 est particulièrement édifiant, et il faut lire ce document où les officiels expliquent doctement ce qu'est un accident nucléaire, ce que sont ses conséquences, et ce que les autorités prévoient pour gérer une telle crise.

En préambule, M. Champion, de la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN), observe "une mauvaise perception de la réalité du risque nucléaire par la population, les élus locaux et les institutions publiques". Il regrette une perception le plus souvent binaire du risque : "soit le risque est nié ou refoulé, soit il apparait sous une forme de cataclysme définitif contre lequel rien ne peut être fait". Hélas le risque existe, et il y a une vie après la catastrophe... et c'est là que commencent les vrais problèmes. Mais reprenons le cours de ce document.

Typiquement, il y a deux phases dans un accident nucléaire : la phase d'urgence pendant laquelle il y a des rejets hors du site, puis la phase post-accidentelle qui débute avec la fin de ces rejets.

La phase d'urgence

Pour cette phase, deux plans d'urgence sont arrêtés : le Plan d'Urgence Interne (PUI) destiné à l'installation nucléaire elle-même, et le Plan Particulier d'Intervention (PPI) relatif à l'extérieur du site. C'est ce dernier qui est généralement présenté au public lors des réunions sur la prise d'iode stable. Il comporte trois dispositions : prise d'iode, mise à l'abri de la population, évacuation temporaire de cette population. Les deux premières mesures sont susceptibles de s'appliquer dans un rayon de 10 km autour du site alors que l'évacuation n'est prévue que dans un rayon de 5 km.

A titre d'exemple, le document présente un scénario à cinétique lente : rupture d'une grosse canalisation du circuit primaire [4], suivie d'une panne du système d'injection d'eau [5] : "En moins d'une heure le haut du coeur n'est plus immergé [... ] Le délai entre le début du dénoyage du coeur du réacteur et sa fusion complète est de l'ordre de l'heure dans le cas étudié ". Autrement dit, le coeur est complètement fondu moins de 2 heures après le début de l'accident. Dans le scénario envisagé, on a ensuite une panne du système d'aspersion de l'enceinte [6]. On suppose tout de même que l'enceinte de confinement tient le coup et que son taux de fuite est dans les normes [7]. Il faut alors 24 heures pour que l'on arrive à la pression limite, pression à laquelle l'exploitant "décide de rompre volontairement l'étanchéité de l'enceinte" (pour éviter qu'elle ne se détruise) en dégazant à travers des filtres. Dans le cas du scénario présenté, voici le tableau (calculé par les officiels) des doses efficaces (en mSv) que recevrait un enfant de 1 an sous le nuage et sans protection [8] :

doses efficaces (en mSv) que recevrait un enfant de 1 an sous le nuage et sans protection
Distance depuis le point de rejet
2 km 5 km 10 km 20 km
temps depuis la fusion du coeur 24 heures 21 4 1 --
36 heures 278 52 15 4
48 heures 356 67 19 5

M. Quéniard, directeur adjoint de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), précise bien que dans un tel scénario, "les produits agricoles seraient contaminés à des valeurs dépassant les niveaux maximums [préconisés par la Commission européenne pour la commercialisation des produits contaminés] jusqu'à des distances nettement supérieures (plusieurs dizaines de kilomètres) à celles de la zone d'application des mesures de protection des populations pendant la phase d'urgence".

Commentaires personnels

Tout cela n'est déjà pas enthousiasmant. Mais en plus, il faut bien voir que l'accident envisagé par les PPI, qualifié comme étant "le plus grand raisonnablement envisageable" , est tel que l'exploitant arrive à contenir l'essentiel des rejets pendant 24 heures, et qu'ensuite c'est lui qui décide du moment et de la voie des rejets (à travers les filtres). C'est d'ailleurs un argument essentiel pour expliquer à la population que l'on arrivera à la protéger pendant cette phase. Malgré cette hypothèse optimiste (l'exploitant a la situation bien en main, y compris au coeur de la catastrophe), on voit qu'à partir de l'instant où les rejets massifs ont lieu (soit au bout de 24h dans le scénario présenté), les doses engagées sont absolument énormes : on peut prendre en 24h la dose que la CIPR recommande de ne pas dépasser en 350 ans.

Comme si cela ne suffisait pas, ce document précise bien qu'il existe d'autres types de scénarios, dit "à cinétique rapide" (explosion chimique par exemple), non envisagés par les PPI, et "qui conduisent à des conséquences significatives hors du site dans des délais très courts" [9]. Pour de tels scénarios, longtemps niés par les officiels français, il n'est pas question d'évacuation (délais insuffisants), et on peut imaginer que les rejets ne seront pas filtrés, voire même seront complètement incontrôlés. Les doses qui en découleront pour la population pendant la phase d'urgence seront vraisemblablement encore plus considérables que celles présentées ci-dessus.

On notera encore, sans aucune surprise, que dans le scénario retenu, la contamination du territoire aura lieu jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres du site. Cela rappelle un rapport IPSN datant de 1994, sur les déchets radioactifs, dans lequel on trouvait la phrase suivante : "Pour le cas d'un accident grave éventuel susceptible d'entraîner la contamination de surfaces importantes, il faut aussi proposer une solution aux problèmes de la gestion de grandes quantités de déchets, notamment agricoles." [10]

La phase post-accidentelle

Sur cette phase, le document se fait plus discret. On trouve néammoins matière à questionnement:

D'après M. Champion (DSIN), "un accident majeur entraînerait des conséquences post-accidentelles variées, dont le traitement se ferait sur plusieurs mois, voire plus : retombées radioactives dans l'environnement, gestion des productions agricoles affectées, suivi sanitaire des populations, problèmes économiques et sociaux [... ]".

On parle de plusieurs mois, mais il peut s'agir de plusieurs années, voire de plusieurs siècles. Quelle gestion dans ce cas ? M. Rousseau, de l'IPSN, précise plusieurs points :

  • "L'objectif des actions post-accidentelles, souvent appelé "retour à la normale", n'est pas le retour à l'état antérieur [11]. Il s'agit plutôt de définir et d'atteindre un état acceptable par la population."
  • Les dégâts seront donc irréversibles. Mais qui décidera à ce moment de ce qui est "acceptable" ou non par la population ?

  • "La réduction de la radioactivité et des doses qu'elle induit" ne pourra être entreprise que dans le cas où "le bénéfice radiologique qu'elle apporterait n'est pas annulé par d'autres conséquences négatives".
  • Quelles conséquences négatives ? Un coût financier trop important ? Une prise de conscience de la population entrainant des "turbulences sociales" difficiles à maîtriser ?

  • Si on s'attend à ce que les populations obéissent à peu près aux consignes des pouvoirs publics pendant la phase d'urgence, "il n'en est pas de même pendant la phase post-accidentelle [étant donné que] la crédibilité des pouvoirs publics et des experts sera vraisemblablement fortement entamée".
  • Effectivement, après une catastrophe nucléaire dans le pays, on peut certainement avancer que "la crédibilité des pouvoirs publics et des experts sera vraisemblablement fortement entamée", et ce ne sera pas le meilleur contexte pour discuter de ce qui est ou non acceptable. Mais dans la pratique, si la population ne se plie pas aux consignes des autorités, quels sont les moyens prévus pour la contraindre ?

  • "Concernant le volet sanitaire d'une politique d'actions post-accidentelle, un cadre technique a été défini et des recommandations établies".
  • Alors pourquoi ce cadre et ces recommandations sont-ils inaccessibles au public et aux experts qui les demandent ? [12] Faute de ces recommandations, on ne peut que se reporter à celles publiées par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) en 1994 : la norme d'intervention pour un relogement définitif hors d'une zone contaminée correspond à une dose sur la vie de 1000 milliSievert (mSv, 10mSv = 1 rem) soit 3 fois plus que la norme sur la vie de 350 mSv (35 rem) qui a été utilisée pour l'évacuation définitive des territoires contaminés par la catastrophe de Tchernobyl, et 14 fois plus que la dose-vie de 70 mSv (7 rem) discutée à l'époque par les scientifiques ukrainiens et biélorusses [13] En clair, il est à craindre qu'en France, après un accident nucléaire, on continue à vivre sur des territoires qui auraient un niveau de contamination équivalent à des territoires définitivement abandonnés autour de Tchernobyl.

  • "Concernant le volet environnemental, il apparaît que les rejets d'un accident n'ont que très peu de chances d'être conformes aux pronostics faits avant qu'ils ne débutent".
  • Au vu de l'histoire contemporaine, on peut penser que les pronostics iront vraisemblablement dans le sens de la minimisation de l'accident, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les mesures de protection que l'on prendra ou non.

  • "Qui dit situation accidentelle dit préjudice d'origine radiologique [... ] Les montants disponibles pour l'indemnisation [... ] sont souvent jugés faibles"
  • Si même l'IPSN le dit ! De fait, l'enveloppe maximale est déjà décidée : 4, 5 milliards de francs, dont 600 MF à la charge de l'exploitant, ce qui est complètement dérisoire par rapport aux sommes en circulation dans l'industrie nucléaire. De fait, l'industrie électro-nucléaire n'aurait pu continuer en France sans l'assurance pour les exploitants de cette limitation en termes de responsabilité financière.

  • "La limite de la surface marquée par les rejets se heurte à un ensemble de contraintes techniques et de règlements existants pas toujours cohérents : [... ] normes européennes de commercialisation des produits alimentaires, souvent comprises comme des normes sanitaires, [... ] limite de dose pour les personnes du public de 1 mSv, valable uniquement pour les conditions normales de fonctionnement, [... ]démarche d'optimisation. [... ] Vraisemblablement une approche technico-économique sera à conduire".
  • En clair, on ne pourra plus tenir les normes actuelles de contamination pour les produits alimentaires, la limite de dose de 1 mSv/an pour les populations civiles ne sera plus appliquable, puisqu'impossible à tenir, et la gestion ne se fera pas sur des critères sanitaires mais sur des critères technico-économiques. Quand à l'optimisation, cela signifie que le rapport coût/bénéfice doît être le plus faible possible. Mais qui fixe le prix d'une vie, d'un cancer, d'un enfant malformé ?

  • "la gestion des territoires contaminés [se poserait] de manière aiguë et complexe même si les rejets radioactifs étaient de faible ampleur, au sens où leur impact sanitaire était [... ] inférieur aux niveaux d'intervention d'urgence."
  • Autrement dit, on peut avoir des terres gravement contaminées, même si l'accident n'a pas nécessité la mise à l'abri de la population (et à plus forte raison la prise d'iode ou l'évacuation).

Conclusion

À la lecture de ce document destiné au grand public, on voit la gravité des questions qui se posent, notamment en ce qui concerne la gestion post-accidentelle.

Nous sommes désolé de ne pas paraître optimiste, mais il faut savoir regarder les choses en face : accepter l'industrie nucléaire, c'est accepter l'accident et ses conséquences.

Le public, les élus, les médias, ont-ils bien compris ce que représente cette acceptation ?

Plus que jamais, il faut changer de cap et SORTIR D'URGENCE [14] de cet engrenage du nucléaire qui nous mène à la catastrophe.

1er juin 2000, Stop Civaux

 


[2] On trouve dès 1962 des allusions à l'accident majeur dans les publications de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR). (cf l'article Comment sommes nous "protégés" contre les rayonnements ? Les normes internationales de radioprotection. Le rôle de la CIPR, Roger Belbéoch, dans l'ouvrage Radioprotection et droit nucléaire, sous la direction de Ivo Rens et Joel Jakubec, éditions georg, 1998).

[3] Contrôle est une publication officielle de la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN). Ce magazine à destination du grand public est disponible gratuitement sur simple demande -- Voir sur Minitel 3614 MAGNUC ou à l'URL http://www.asn.gouv.fr/

[4] à Civaux, en mai 1998, c'était "seulement" une fissuration importante d'une canalisation touchant au circuit primaire

[5] comme au Blayais en décembre 1999

[6] comme au Blayais en décembre 1999

[7] ce qui est loin d'être le cas de toutes les enceintes des réacteurs actuellement en fonctionnement, cf Belleville par exemple...

[8] A titre de comparaison, la CIPR recommande, dans sa publication de 1990, de ne pas dépasser, pour un adulte, une dose ajoutée de 1 mSv/an.

[9] D. Quéniard, IPSN, La dynamique des accidents nucléaires, Contrôle, janvier 2000

[10] publié dans la Gazette Nucléaire, no 139/140 de janvier 1995, page 13

[11] souligné par nous

[12] Voir : Quand la transparence est opaque. Les normes d'intervention en cas d'accident nucléaire, Bella Belbéoch, bulletin de Stop-Nogent numéro 82 d'octobre 98/janvier 99, ou à l'URL http://www.dissident-media.org/infonucleaire/norme_opaque.html

[13] Cette limite fût abandonnée à cause de l'intervention, en juin 1989, des experts de l'Organisation Mondiale de la Santé (dont le Pr Pellerin), qui eux préconisaient une dose de 2 à 3 fois 350 mSv (cf l'article Responsabilités occidentales dans les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, en Biélorussie, Ukraine et Russie, Bella Belbéoch, dans l'ouvrage Radioprotection et droit nucléaire, sous la direction de Ivo Rens et Joel Jakubec, éditions georg, 1998). Voir également http://www.dissident-media.org/infonucleaire/consequences.html

[14] Des solutions existent : on peut arrêter très rapidement 70% du parc si l'on accepte l'arrêt de l'exportation d'électricité, l'arrêt du retraitement, et l'utilisation à plein rendement des installations thermiques classiques présentes sur notre territoire. Voir l'ouvrage : Il faut sortir de l'impasse nucléaire avant la catastrophe, c'est possible !, R et B Belbéoch, à l'adresse http://www.dissident-media.org/infonucleaire/index_sortir.html, ou aux éditions L'esprit Frappeur

1er juin 2000, Stop Civaux

 


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